Tuna Altınel, mathématicien à Lyon 1 et otage de l’État turc
6 novembre 2019À l’attention de l’opinion publique
Qui suis-je ? Tuna Altınel, maître de conférences habilité en mathématiques à l’Université Lyon 1, fonctionnaire d’État depuis octobre 1996, (co)-auteur d’une vingtaine d’articles et d’une monographie de recherche, enseignant d’une multitude d’étudiants de tous les niveaux de l’enseignement supérieur mais aussi un otage de l’État turc.
Le 21 février 2019, j’ai assisté à une soirée au Palais du Travail de la mairie de Villeurbanne par Amitiés Kurdes Lyon-Rhône-Alpes, association française loi 1901. Le sujet était les exactions commises en janvier 2016 sur les civils à Cizre, ville kurde, sous prétexte de guerre contre le terrorisme. Le 12 avril suivant, mon passeport était confisqué aux frontières de l’État turc sans qu’on m’en dise les raisons.
Pendant un mois, j’ai cherché les raisons de cette confiscation. En butte à la langue de bois d’un état, je suis allé le 10 mai à Balıkesir où mon acte de naissance est enregistré et dont la préfecture avait
initié l’enquête à mon encontre. Cette tentative s’avérant aussi infructueuse que les précédentes, je me préparais à rentrer à İstanbul quand j’ai été arrêté devant la préfecture de Balıkesir.
Le lendemain, accusé de propagande d’organisation terroriste, j’étais placé en détention dans la prison de Kepsut, Balıkesir. Quelques heures seulement après ces faits, j’étais déclaré « universitaire
faisant de la propagande terroriste » dans un communiqué de presse de ladite préfecture. Celle-ci n’avait pas oublié d’informer le quotidien Yeni Akit, journal proche du pouvoir politique, qui allait
reprendre le même texte, violant ainsi le principe de la présomption d’innocence.
Deux jours ont suffi pour préparer un acte d’accusation dont le seul appui est une lettre d’information rédigée par le Consulat de Turquie à Lyon au sujet de la soirée du 21 février. Ledit consulat s’était
permis d’espionner les activités d’une association française légale. L’accusation était nettement plus forte qu’à mon arrestation : « appartenance à une organisation terroriste », passible de 5 à 10 ans
d’emprisonnement.
J’ai passé 80 jours en prison. J’ai été libéré le 30 juillet sans aucune restriction, mesure administrative, contrôle judiciaire, ni interdiction de quitter le pays. La prochaine audience est fixée au 19 novembre
2019, à 14h. Suite à la décision favorable de la cour, le 27 août, accompagné de mon avocat, j’ai fait une requête pour la restitution de mon passeport. Aucune réponse ne nous est parvenue durant un mois. De
retour à la préfecture de Balıkesir le 27 septembre, nous avons difficilement obtenu une copie de la réponse dont le deuxième et dernier paragraphe se clôt par la phrase suivante : « Votre demande sera reconsidérée, sur requête de votre part, dans le cas de l’acquittement éventuel de votre client à l’issue de la poursuite en cause. » Comme ultime recours à la loi, mes avocats ont initié une procédure au tribunal administratif.
L’État turc refuse de me rendre mon passeport. Cet état qui m’a d’abord emprisonné pour des motifs non justifiés et me menace de plusieurs années de prison, viole aussi mon droit au voyage protégé par la clause 23 de la Constitution de Turquie. Mon droit au travail, protégé par la clause 49 de ladite constitution, n’en est pas moins violé : je ne peux assurer mes cours à Lyon depuis des mois ; la lettre de mon université à la cour reste ignorée.
Je demande la fin de cette cascade d’injustices !
Tuna Altınel