Le Marec, J., Babou, I. et Faury, M., Analyse du discours de la presse quotidienne à propos des résistances aux antibiotiques en contexte génétique et Pratiques de communications dans les pratiques de recherche, In : Schneider, D (Dir.), Rapport pour le programme Afsset « Gestion biologique et sociale de la dispersion des résistances aux antibiotiques », Grenoble : Université Joseph Fourier, 2010
15 février 2010Introduction :
Le programme « Gestion biologique et sociale de la dispersion des résistances aux antibiotiques » a permis d’expérimenter un mode de collaboration scientifique originale entre biologie et sciences sociales.
Il est désormais fréquent que les sciences humaines et sociales soient sollicitées dans des programmes de recherches en sciences biologiques et physiques, mais le modèle de collaboration interdisciplinaire s’est rapidement standardisé. L’intervention des sciences sociales dans les programmes de recherche en biologie est fréquemment vue comme une manière de développer la maîtrise des relations entre le monde scientifique et « la société » considéré comme milieu social, politique, économique, dans lequel se déploie la recherche.
Si la vulgarisation des résultats et des démarches a longtemps été l’opérateur principal de cette mise en relation, d’autres modèles de médiations se développent. Par exemple, l’étude des perceptions sociales et l’acceptabilité du changement et de l’innovation associée à des programmes de recherche-développement, l’ingénierie du débat et de la participation, l’institutionnalisation de l’éthique sont désormais des modalités constamment mises en avant de l’intégration de la recherche à son contexte social. Mais ces médiations obéissent presque toutes à un modèle implicite encore très robuste, selon lequel les enjeux de connaissance scientifique sont définis du point de vue des professionnels des sciences de la nature, et sont retravaillés, enrichis par le souci de prendre en compte des logiques sociales, grâce aux sciences sociales notamment.
Il est en revanche très rare de mener des recherches visant non pas directement une prise en compte de « la société », mais une meilleure compréhension fondamentale des rapports existant entre les sciences et la société, indépendamment des quelques idées reçues concernant la manière dont on peut directement gérer ou améliorer ces rapports. Au nombre de ces idées reçues, on trouve par exemple la conviction fort discutable que c’est l’ignorance qui génèrerait la méfiance des populations à l’égard du développement scientifique. C’est pourtant cette idée reçue qui détermine un type de recours aux sciences sociales visant à développer la communication scientifique pour faciliter l’acceptabilité du changement.
Une meilleure compréhension fondamentale des rapports entre sciences et société passe par des recherches qui portent soit sur ce que recouvre la recherche contemporaine au- delà de l’imaginaire réducteur du « laboratoire », soit sur la présence des sciences dans la culture et les discours sociaux : il s’agit de retravailler l’imaginaire des frontières entre le monde des sciences et le monde social, en explorant d’une part la place des objets, des argumentaires, des acteurs scientifiques hors des espaces académiques et d’autre part les dimensions culturelles et sociales des activités scientifiques dans les espaces académiques.
C’est cette perspective que nous avons suivie dans le cadre du programme « Gestion biologique et sociale de la dispersion des résistances aux antibiotiques ». Il s’est agi en effet non pas de proposer une étude strictement limitée au cadre de la recherche biologique en cours, mais de démarrer une relation interdisciplinaire à long terme entre biologistes et chercheurs en sciences sociales.
Cela s’est traduit par deux volets d’enquête très différents, destinées à déployer, dans le cadre du programme effectué, les deux types d’exploration : analyse sociologique des pratiques de recherche des biologistes impliqués dans ce programme et analyse sémiotique de la thématique des résistances aux antibiotiques dans les discours médiatiques.
L’étude de la thématique des résistances aux antibiotiques dans les discours médiatiques est destinée à dresser une toile de fond : comment émerge la relation entre OGM et résistance aux antibiotiques dans les médias ? Qui s’exprime ? Quelles sont les manières d’interpréter et de cadrer cette thématique dans les différents quotidiens nationaux ? L’analyse menée s’inscrit dans une tradition de recherche très féconde, initiée par Serge Moscovici en 1966, d’études de la présence de thématiques scientifiques dans les grands médias de presse. Les sciences de l’information et de la communication ont particulièrement développé ce type de travaux, notamment pour l’analyse des formes de discours à propos de sciences dans les médias. Le travail réalisé permet non seulement d’avoir une idée de la richesse et des formes du discours médiatique à propos d’un thème qui touche directement aux questions de recherche de ce programme (le lien entre OGM et résistances aux antibiotiques) mais aussi de relier ces discours portant ce thème particulier à l’ensemble plus général du fonctionnement des médias de presse à l’égard de thématiques impliquant des recherches scientifiques. Le rôle des « contrats de lecture » propres aux différents supports de presse apparaît ainsi déterminant dans la manière dont est traité ce thème.
L’étude des pratiques de recherche des biologistes impliqués dans le programme est destinée quant à elle à observer et décrire des relations entre sciences et société au cœur même de ces pratiques, et à développer une meilleure compréhension des modes de recherche en contexte interdisciplinaire. Si la sociologie des sciences a bien exploré les médiations matérielles et sociales qui caractérisent la recherche en tant que pratique professionnelle spécialisée, l’analyse précise des communications qui interviennent dans le quotidien de la recherche reste à faire. Or, il nous semble que les pratiques de communication sont très structurantes dans la recherche et qu’elles constituent en outre un bon analyseur de la manière dont des logiques sociales interviennent dans l’évolution des pratiques de recherche aujourd’hui. Elles nous donnent ainsi accès à des informations très riches pour au moins deux trois aspects d’un programme tel que « Gestion biologique et sociale de la dispersion des résistances aux antibiotiques ». Avec qui et comment des chercheurs en sciences expérimentales communiquent-ils au quotidien ? Comment ces manières de communiquer rendent-elles compte des manières de pratiquer la recherche contemporaine et des évolutions qui les affectent ? En particulier, comment se structurent les pratiques liées au cadre du projet de recherche collectif aujourd’hui ? On montre par exemple l’influence majeure des modes d’administration de la recherche dans l’activité de recherche, mais aussi la variété des différents styles de recherches qui sont articulés dans le cadre de collaboration interdisciplinaire. Comment se développent des thématiques de recherches à partir des dynamiques de communication dans la recherche, ou plutôt, comment ces dynamiques interviennent-elles dans le cas de certaines thématiques comme « Gestion biologique et sociale de la dispersion des résistances aux antibiotiques » qui fait intervenir des laboratoires qui mettent en commun des compétences très spécifiques.
Nous avons donc expérimenté dans le cadre de ce programme, une analyse des pratiques de communication dans les pratiques de recherche au quotidien.
Les deux volets – externe avec l’analyse des discours médiatiques, interne avec l’analyse des pratiques des chercheurs impliqués dans le programme – ne sont pas directement complémentaires dans leur résultats, ils éclairent de deux points de vue très différents la question des frontières entre sciences et société dans le cas d’une recherche pluridisciplinaire de pointe : par les discours sociaux sur le thème et par les pratiques de communication des chercheurs. Ils permettent de pointer chacun l’importance considérable des styles de communication (genre de discours, pratiques professionnelles) dans le domaine de relations entre sciences et société. Ils ont en commun la caractéristique de relier étroitement les pratiques de communication, la production de connaissances scientifiques, les savoirs communs et les dispositifs (médiatiques, technologiques) qui servent de support à la communication.