Bernard Le Bouyer de Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, Paris : Brunet, 1724 [texte originellement publié en 1686]
10 octobre 1686Les « Entretiens sur la pluralité des mondes » de Bernard de Fontenelle, publiés en 1686, sont souvent considérés comme l’une des origines de la pratique vulgarisatrice dans le domaine littéraire. C’est ce qui justifie leur présence sur ce site, à titre de jalon, et pour montrer que les questions que posent les sciences aux sociétés contemporaines s’inscrivent dans une longue tradition qu’il est intéressant de connaître.
Pour en savoir plus sur l’histoire de la vulgarisation :
- Raichvarg, Daniel et Jacques, Jean, Savants et ignorants — Une histoire de la vulgarisation des sciences, Paris : Seuil, 1991.
- Jeanneret, Yves, Écrire la science — formes et enjeux de la vulgarisation, Paris : PUF, 1994.
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Extrait :
Je suis à peu près dans le même cas où se trouva Cicéron, lorsqu’il entreprit de mettre en sa langue des matières de philosophie, qui jusque là n’avaient été traitées qu’en grec. Il nous apprend qu’on disait que ses ouvrages seraient fort inutiles, parce que ceux qui aimaient la philosophie s’étant bien donné la peine de la chercher dans les livres grecs, négligeraient après cela de la voir dans les livres latins, qui ne seraient pas originaux, et que ceux qui n’avaient pas de goût pour la philosophie ne se souciaient de la voir ni en latin, ni en grec.
A cela il répond qu’il arriverait tout le contraire, que ceux qui n’étaient pas philosophes seraient tentés de le devenir par la facilité de lire les livres latins; et que ceux qui l’étaient déjà par la lecture des livres grecs seraient bien aises de voir comment ces choses-là avaient été maniées en latin.
Cicéron avait raison de parler ainsi. L’excellence de son génie et la grande réputation qu’il avait déjà acquise lui garantissaient le succès de cette nouvelle sorte d’ouvrages qu’il donnait au public; mais moi, je suis bien éloigné d’avoir les mêmes sujets de confiance dans une entreprise presque pareille à la sienne. J’ai voulu traiter la philosophie d’une manière qui ne fût point philosophique; j’ai tâché de l’amener à un point où elle ne fût ni trop sèche pour les gens du monde, ni trop badine pour les savants. Mais si on me dit, à peu près comme à Cicéron, qu’un pareil ouvrage n’est propre ni aux savants qui n’y peuvent rien apprendre, ni aux gens du monde qui n’auront point d’envie d’y rien apprendre, je n’ai garde de répondre ce qu’il répondit. Il se peut bien faire qu’en cherchant un milieu où la philosophie convînt à tout le monde, j’en aie trouvé un où elle ne convienne à personne; les milieux sont trop difficiles à tenir, et je ne crois pas qu’il me prenne envie de me mettre une seconde fois dans la même peine.
Je dois avertir ceux qui liront ce livre, et qui ont quelque connaissance de la physique, que je n’ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir en leur présentant d’une manière un peu plus agréable et plus égayée ce qu’ils savent déjà plus solidement; et j’avertis ceux pour qui ces matières sont nouvelles que j’ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s’ils cherchent ici de l’utilité; et les seconds, s’ils n’y cherchent que de l’agrément.